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La grève des avocats pour l'aide juridictionnelle

26/10/2015
La grève des avocats pour l'aide juridictionnelle
Grève des Avocats. Pourquoi, pour qui ?

Le Conseil national des Barreaux a lancé un appel à la grève le 23 octobre 2015 et à la mobilisation contre le projet de réforme de l’aide juridictionnelle prévu notamment par l’article 15 de la loi de finances pour 2016. 

Le Barreau de Grenoble a devancé ce mouvement, et s’est déclaré en grève depuis le 21 octobre.

Pourquoi ?

Quelques chiffres

Il convient avant toute chose de tordre le cou aux idées reçues.

Les Avocats ne sont pas des nantis.

● En 2010, le revenu annuel moyen de la profession s’est établi à 77.925 €, tandis que le revenu médian s’est élevé à 46.169 €.

 

● L’écart entre le revenu moyen et le revenu médian (le premier étant supérieur de 68,7 % du second) reflète des disparités de revenu importantes au sein de la profession. Les revenus varient fortement suivant la structure d’exercice, le secteur d’activité de l’avocat et son âge.

Cela revient à dire qu’au moins 50% des avocats gagnent, sans compter leurs heures, moins de 46.000€ annuels.

Cela paraît beaucoup, mais ne reflète pas véritablement la réalité des revenus. En effet, sont inclus dans ces statistiques les revenus des grands cabinets d’affaires, et des multinationales du droit.

Autrement dit, pas ceux des avocats à qui vous aurez à faire au quotidien, à moins que vous ne soyez vous-même à la tête d’une grande entreprise (et là, c’est votre service juridique qui s’en occupera).

La réalité est qu’aujourd’hui, la profession d’avocat se paupérise de jour en jour, au détriment des avocats eux-mêmes naturellement, mais également des justiciables, qui voient nombre de leurs Conseils soumis à une dépendance économique de l’Etat.

L’aide juridictionnelle

C’est un mécanisme qui permet aux plus démunis de bénéficier de l’assistance d’un Avocat sans avoir à le rémunérer, l’Etat se chargeant, au titre de l’accès au droit, d’indemniser l’Avocat qui intervient.

Cette aide bénéficie au personnes ayant un revenu modeste (environ moins de 1000€ par mois), mais aussi dans certains cas à ceux qui ne sont pas en situation d’y avoir recours au regard de leur situation, qu’ils soient mineurs ou détenus par exemple.

Pour l’année 2012, près de 800.000 missions ont été menées au titre de l’aide juridictionnelle par les avocats de France.

Le sujet est donc d’importance.


Le projet de réforme

Alors même que le Garde des Sceaux s’est engagé à mettre en chantier l’aide juridictionnelle, la loi de finances pour l’année 2016 a décidé, sans concertation et contre toute attente, de faire financer par les avocats eux-mêmes une partie du budget de l’aide juridictionnelle.

C’est comme si l’on demandait à votre médecin de financer lui-même la CMU.

Par ailleurs, la rétribution de l’avocat dans les missions les plus courantes a été envisagée à la baisse, de plus de 60% dans certains cas.

Quelques chiffres à nouveau.

Il faut savoir que pour faire fonctionner un cabinet, le taux de charges par rapport au chiffre d’affaires avoisine en moyenne les 63%

En d’autres termes, lorsque vous payez 100€ à votre avocat, son revenu est de 37€, sur lesquels, comme tout citoyen, il paiera son impôt sur le revenu.

Prenons quelques exemples significatifs.

Supposons que vous ayez un contentieux relatif à votre bail d’habitation et que vous soyez bénéficiaire de l’aide juridictionnelle.

Votre avocat sera rétribué 145,20€ pour vous rencontrer, faire l’étude de votre dossier, les recherches et actes juridiques nécessaires et plaider votre dossier.

Il reversera immédiatement 24,20€ à l’Etat au titre de la TVA perçue.

Il lui restera 121€ ; si l’on applique le coefficient de charges moyen évoqué (63%), sa rétribution nette avant impôt sera de 44,77€.

S’il travaille au SMIC horaire, il peut consacrer en tout et pour tout 4 heures à la défense de vos intérêts.

Nous pouvons retenir le même raisonnement pour le Tribunal Correctionnel, et ce quelle que soit la gravité de l’infraction.

Sa rétribution au titre de l’aide juridictionnelle est de 193,60€TTC ; en appliquant le même mode de calcul, il peut consacrer au dossier 6 heures au smic horaire pour assurer toute sa mission.

Vous me direz, ce n’est pas si mal pour un dossier.

Certes.

Mais si ce n’est pas un dossier, mais VOTRE dossier, pensez-vous que ce temps suffira à faire valoir vos droits les plus élémentaires voire même à prouver votre innocence ?

La réalité est que les avocats ne peuvent travailler au SMIC horaire compte tenu des charges pesant sur leur structure.

 

Quelques réflexions personnelles

Tirons les enseignements des diverses réformes récentes.

Dans un premier temps, l’Etat qui a pour mission d’assurer l’accès des citoyens au Juge a créé les « juridictions de proximité ».

Celles-ci étaient destinées à trancher les « petits » litiges, sans avoir nécessairement besoin des conseils ou de l’assistance d’un avocat (qui, s’il était saisi, était rémunéré à hauteur de 45€ - je ne refais pas le même calcul, vous laissant en tirer les conséquences).

Le résultat a été catastrophique, notamment dans la durée des procédures, à telle enseigne que nombre de réformes ont fait disparaître ces juridictions, qui continuent pourtant à fonctionner quotidiennement…

Puisque la création de juridictions « sans avocat » a été un échec parfaitement constaté, un changement de stratégie a été opéré : rendre les missions des avocats intervenant à l’aide juridictionnelle tellement peu rémunératrices, voire même tellement coûteuses pour l’avocat (qui conformément à son serment prendra le temps nécessaire au traitement de votre dossier, et engagera sa responsabilité s’il ne le fait pas) que les avocats désertent ces contentieux.

 

De fait, le Chancellerie espère faire supporter aux avocats la responsabilité d’une Justice à deux vitesses, où seuls ceux qui peuvent se le permettre auront accès à une défense digne et compétente. 

Sans succès, car les Avocats ne cèdent pas ; ils est hors de question de laisser les justiciables les plus fragiles affronter seuls la machine judiciaire.

Manifestant devant les Palais de justice de France, nos confrères de Lille, de Toulouse, de Créteil et d’autres barreaux encore ont été dispersés manu militari par les forces de police, qui les ont au passage aspergé de gaz lacrymogènes.

La police usant de force et de violence contre des avocats est une image forte, mais qui reflète la disparité des moyens.

Il y a 5 ans déjà, l’Union Syndicale des Magistrats rappelait que la France se classait 37ème rang sur 43 au classement européen du budget consacré à la justice ramené au PIB par habitant, derrière l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Tout un programme.

Aussi, il est fort probable que lorsque vous souhaiterez contacter votre avocat ces jours-ci, vous trouviez porte close ; il est aussi probable que votre dossier soit renvoyé à une date ultérieure, à sa demande.

Votre avocat n’est pas un nanti qui danse sur les ruines du système judiciaire français ; il est un auxiliaire qui fait entendre sa voix, celle des justiciables qu’il fréquente au quotidien, bien loin de la place Vendôme où les décisions sont prises, à moins que cela ne soit fait sur les quais de Bercy.

Il répond à la délibération du Conseil de l’ordre des avocats de Grenoble du 21 octobre 2015 dont je reproduis ici le contenu :

 

« A la suite de l’Assemblée Générale extraordinaire du Barreau de Grenoble, le Conseil de l'Ordre :

CONNAISSANCE PRISE des propositions de réforme de l’aide juridictionnelle formulées par le Ministère de la Justice au cours de l’été, dont ni le fond ni la forme ne sont acceptables.

DEMANDE au Gouvernement le retrait de ces propositions, comme préalable à la poursuite de toute discussion,

REFUSE la révision du barème qui se traduit par une diminution du nombre d’UV dans les missions civiles et pénales les plus courantes déjà sous évaluées,

EXIGE le retrait des dispositions de l’article 15 du projet de Loi de finance pour 2016,

S’INDIGNE du traitement réservé à ses confrères Lillois.

En conséquence, le Conseil de l'Ordre a voté à l’unanimité une grève générale et illimitée de toutes les activités juridiques et judiciaires y compris le contentieux de la liberté ».

 

 



 

 

 

 

 

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